Table ronde Culina:

Intelligence artificielle et robotique dans la restauration

02.09.2024
Pot-au-feu 03/24
Partager cet article

Lors de la dernière table ronde Culina chez Hupfer AG à Sempach, des experts ont discuté de l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) et de la robotique dans la restauration. Les processus peuvent ainsi être simplifiés et les coûts réduits, mais ils nécessitent de nouvelles exigences en matière de personnel et de stratégies de formation. Des interfaces standardisées et une communication transparente sont en outre décisives pour l’acceptation et l’utilisation.

Stephan Frech: En guise d’introduction, il est certainement utile de clarifier la terminologie. Nous parlons d’une part de robotique et d’autre part d’intelligence artificielle. Comment peut-on distinguer ces concepts?

Tobias Wijnen: Il existe différents types de robotique: ceux qui intègrent l’intelligence artificielle (IA) et ceux qui prennent des décisions en fonction des données et des résultats attendus.

Tobias Kofmel: La robotique comprend des machines et des systèmes physiques qui exécutent des tâches programmées, comme le transport de marchandises d’un point A à un point B. Cela est déjà utilisé avec succès dans des domaines tels que le transport de nourriture, de produits stériles, de linge et de déchets.

L’intelligence artificielle, quant à elle, est la technologie qui permet à ces robots de «penser» et d’apprendre. Dans le domaine de la logistique, les robots intelligents peuvent donc déterminer si des problèmes surviennent régulièrement dans certains couloirs ou ascenseurs et trouver des itinéraires alternatifs pour éviter les embouteillages. Il s’agit là d’un exemple d’utilisation de l’IA.

Patrik von Wyl: Je suis d’accord: la robotique se réfère à l’exécution manuelle des tâches, tandis que l’IA est l’intelligence qui se trouve derrière ces processus et qui contrôle l’exécution manuelle.

Marcel Bischofberger: Les deux éléments peuvent donc être bien séparés, pour revenir à la question initiale.

Stephan Frech: Pouvez-vous citer d’autres exemples où la robotique ou l’IA sont déjà utilisés? Par exemple aussi dans la planification?

Patrik von Wyl: Actuellement, la robotique n’est pas un sujet très important pour nous dans la planification de la restauration. Dans d’autres projets, les systèmes de caisse commandés par IA, par exemple, sont de plus en plus pertinents. Ils fonctionnent avec des caméras ou la technologie RFID, reconnaissent le plat en quelques secondes, déterminent le prix et reconnaissent de manière flexible les adaptations des plats.

Tobias Wijnen: Un principe similaire est appliqué aux fours combinés. Ces appareils analysent de manière autonome les résultats obtenus jusqu’à présent et ajustent la température, l’humidité et le temps de cuisson afin d’obtenir le meilleur résultat possible.

Roger Schreiber: Les choses bougent aussi dans le secteur de la restauration rapide. Les premiers robots pilotés par l’IA arrivent sur le marché et produisent quelques plats. Ils reprennent les gestes d’un cuisinier et produisent des plats de qualité constante.

Manfred Möckli: Une chaîne américaine à Miami exploite déjà des restaurants entièrement automatisés, axés sur la régénération d’aliments  et la vente à emporter.

Un autre projet intéressant est celui d’un hôpital où l’IA aide les cuisiniers à planifier les menus en tenant compte de facteurs tels que la météo, la saison et le nombre de patients, ainsi que  leurs souhaits en matière de menus, leurs régimes et leurs intolérances. Le chef de cuisine obtient un taux de réussite de 60 % en matière de gaspillage alimentaire, l’IA quant à elle obtient 80 %. Le gaspillage alimentaire est également enregistré.

La prochaine étape logique est l’automatisation des commandes. L’IA pourrait envoyer des commandes sur la base d’offres et de prix actuels. Pour ce faire, il faudrait toutefois disposer d’informations actualisées en permanence.

Roger Schreiber: La durabilité et l’élimination du gaspillage alimentaire sont certainement les principaux moteurs de notre planification. Il existe aussi des robots qui apportent les plats à table. Mais pour l’instant, ce sont plutôt des gadgets qui ne soulagent pas vraiment le service.

Stephan Frech: Où voyez-vous des progrès essentiels, mais qui se heurtent à des résistances? Où manque-t-il encore des percées?

Bruno Ulrich: Dans la gestion des marchandises, comme nous l’avons mentionné. Quand la gestion des marchandises et les recettes passerons par l’IA et seront reliées entre elles, nous aurons franchi la prochaine grande étape. Je pense qu’il n’y aura pas d’autre solution à moyen terme.

Un autre exemple banal est la détermination de la température à cœur. Il faut pouvoir la mesurer sans percer le produit. Dans ce cas, l’IA peut contribuer à améliorer la sécurité et à combler le manque de personnel qualifié.

Manfred Möckli: Mais dans la cuisine, la communication est importante. Les collaborateurs ne sont pas remplacés, mais déchargés.

Stefano Gerber: Le fait que le matériel soit à la traîne par rapport aux logiciels pilotés par l’IA constitue en outre un grand défi. Même Tesla travaille d’arrache-pied sur des robots. L’IA est déjà bien plus avancée, mais ils ne peuvent pas la mettre en œuvre parce qu’il manque la robotique.

Manfred Möckli: Il est également vrai que l’homme n’adopte les nouvelles technologies que lentement. Zoom ou Teams existaient déjà bien avant Corona, mais ce n’est que pendant la pandémie qu’ils se sont imposés.

Patrik von Wyl: Je suis d’accord. Les collaborateurs doivent d’abord être confiants sur le fait que les systèmes fonctionnent de manière fiable et que, par exemple, le rôti sorte du four mixte sans intervention manuelle et soit de bonne qualité.

Roger Schreiber: Pour nous, planificateurs, les périodes entre la planification et la mise en œuvre sont souvent longues et exigeantes. Les grands projets à usage mixte avec une petite partie consacrée à la restauration peuvent durer plusieurs années. Malgré cela, nous devons penser à l’avenir et présenter de nouvelles possibilités aux clients. Le plus grand défi consiste à leur ôter la peur des solutions non éprouvées.

Marcel Bischofberger: Dans ce contexte, il est important de donner aux gens les moyens d’utiliser les nouvelles technologies et de demontrer leur valeur ajoutée. Les simulations de processus lors de la planification sont utiles, car l’appareil n’est qu’une partie d’un processus global.

Tobias Wijnen: Si un système génère une valeur ajoutée claire, l’obstacle à l’introduction de nouveaux processus numériques est effectivement beaucoup moins important.

Stephan Frech: Quelle doit être la contribution de la formation lorsqu’il s’agit de l’acceptation et de l’utilisation de nouvelles technologies?

Marcel Bischofberger: Je pense que des adaptations fondamentales du profil professionnel sont nécessaires. On pourrait imaginer une formation de cuisinier système, qui assumerait d’autres tâches que celles du cuisinier classique. Il faudrait poser ces jalons dès la formation de base.

Roger Schreiber: Je trouve aussi que la formation dans la restauration est très en retard sur ces évolutions et qu’il n’existe pas non plus, à ma connaissance, de stratégie pour y remédier.

Tobias Kofmel: Union a essayé d’établir le profil professionnel du restaurateur de système avec de grandes chaînes de fast-food. Mais à mon avis, on a misé sur le mauvais cheval: Au lieu de faire un apprentissage de cuisinier, on est formé comme restaurateur de système pour gérer un fast-food. Dans d’autres pays, cette formation existe, mais en Suisse, le travail dans le secteur du fast-food est plutôt un job d’étudiant.

Tobias Wijnen: Le manque de normes des interfaces  d’échange de données est certainement un problème. Certes, Gehrig propose une plateforme pour l’intégration de différents appareils et la définition de processus, mais sans normes inter-constructeurs, cela reste difficile et coûteux.

Tobias Kofmel: C’est certainement un point important. Actuellement, chaque fabricant essaie de commercialiser ses propre gadgets d’IA comme USP.

Tobias Wijnen: Et celles-ci restent des solutions isolées tant que nous ne pouvons pas les relier et les intégrer dans le processus global. Ce n’est qu’à ce moment-là que cela devient vraiment efficace.

Patrik von Wyl: L’individualité du cuisinier joue également un rôle important. Alors que l’IA et la robotique peuvent considérablement simplifier les processus standardisés, il est difficile d’appliquer de telles technologies à un art individuel comme la cuisine.

Manfred Möckli: Je ne suis que partiellement d’accord, car l’IA ne déclenchera jamais les mêmes processus dans l’hôpital X que dans l’hôpital Y, car le nombre de patients, les besoins et les conditions varient et l’IA s’y adapte.

Mais le manque d’interfaces est effectivement un gros problème, comme l’a montré la Foodservice Consultants Society International (FCSI) lors de son webinaire «Révolutionner la cuisine industrielle» à Igeho. Il s’agissait d’un programme qui doit réunir tous les processus. Pour nous, les planificateurs, il s’agit de Building Information Modeling (BIM). Plus l’IA dispose de données, plus elle peut travailler efficacement.

Marcel Bischofberger: Le HKI, le portail des normes pour la gastronomie, publie des normes interconstructeurs. Les plates-formes peuvent également être reliées sur cette base. Cela doit être l’objectif. Ceux qui ne le font pas restent isolés et ne survivront pas à long terme. Les planificateurs préféreront les produits qui permettent de tels processus.

Tobias Wijnen: Théoriquement, c’est très avancé: si nous enregistrons un plan, appareils compris, dans le BIM, une IA sait exactement où se trouve chaque appareil dans la cuisine, quel est son âge et peut déclencher des opérations de maintenance. Les données sont disponibles et peuvent être transmises. Cela ne permet certes pas de cuisiner numériquement, mais simplifie considérablement les processus.

Manfred Möckli: Et si quelqu’un connaît les processus d’un appareil et en exploite pleinement le potentiel, on peut également être beaucoup plus efficace.

Roger Schreiber: Cela va encore plus loin. Si l’IA est alimentée par des données BIM, elle peut optimiser la planification des cuisines.

Patrik von Wyl: Dans une entreprise de Berne, l’IA établit le plan des menus en se basant sur le chiffre de l’année précédente, les données météorologiques et le compare avec le nombre de collaborateurs présents avant le service. Cela pourrait aller encore plus loin: En fonction du plan de menus, les appareils sont équipés des recettes correspondantes. Face à la pénurie de personnel qualifié, il faut simplifier les processus, car à l’avenir, il se peut que seul le chef de cuisine ait une formation spécialisée et que les autres collaborateurs l’assistent.

Tobias Kofmel: Dans d’autres pays, c’est une réalité depuis longtemps. Au sein du groupe de cliniques allemand Helios, on ne cuisine plus. Tous les composants des menus sont achetés congelés, puis dressés et régénérés, ce qui permet aussi de couvrir jusqu’à 80 % des régimes alimentaires. Un collaborateur ayant une formation de base en gastronomie suffit pour contrôler la qualité. Mais pour l’instant, ce n’est pas encore le cas en Suisse.

Bruno Ulrich: Dans le domaine de la dysphagie, cette pratique s’est également établie chez nous depuis longtemps et personne ne pense  préparer ces plats soi-même. Cela pourrait être le point de départ de la prochaine étape, car il y a déjà une grande acceptation dans ce domaine.

Stephan Frech: Et qu’est-ce que l’IA peut améliorer dans l’expérience client?

Patrik von Wyl: Si l’IA prend en charge les processus standard comme la planification des menus et la gestion des déchets alimentaires en arrière-plan, cela allège la charge de travail des collaborateurs et leur permet de s’occuper davantage des clients et de se concentrer sur leur activité principale. La question est toutefois de savoir comment cela peut être implémenté et mis en œuvre.

Tobias Kofmel: Il existe des lampes qui lisent un champ défini et adaptent la lumière en conséquence afin d’optimiser la présentation des marchandises. De tels systèmes peuvent être utilisés dans le domaine du libre-service et sont un exemple de la manière dont l’IA peut créer une meilleure expérience client.

Roger Schreiber: L’acceptation par les hôtes est particulièrement importante lorsqu’il s’agit du prix. L’IA et la robotique peuvent avoir une influence sur les coûts, car le facteur de coût le plus important est celui du personnel. Les systèmes automatisés pourraient contribuer à faire baisser les prix de vente dans les cantines ou à réduire la subvention de l’entreprise. Il est toutefois difficile de calculer cela avec précision. Souvent, nos interlocuteurs en matière de planification sont des chefs de cuisine qui sont proches de la retraite et qui ont peur pour leur emploi. Ils souhaitent continuer à cuisiner avec leur brigade comme ils l’ont fait pendant les 20 ou 25 dernières années.

Dans ce cas, un économiste d’entreprise ayant une expérience dans la restauration devrait être intercalé afin de montrer les effets à long terme sur la structure des coûts aux maîtres d’ouvrage. Nous pouvons apporter un soutien important et effectuons actuellement plus de calculs de coûts d’exploitation que jamais auparavant. On investit beaucoup, mais souvent sans calcul approfondi.

Bruno Ulrich: Le client ne doit rien remarquer des processus pilotés par l’IA en arrière-plan, mais seulement profiter de prix plus avantageux. Mais nous rencontrons aussi parfois des résistances, l’acceptation des nouvelles technologies variant fortement selon les chefs de cuisine. Il manque un lien qui faciliterait la transition et soutiendrait la mise en œuvre des nouvelles technologies. Nous ne pouvons pas avancer seuls – c’est un cercle vicieux.

Patrik von Wyl: A mon avis, il pourrait y avoir encore plus de petits assistants, comme le chariot Office qui  signale lorsqu’il est plein ou le système de vente à chaud lorsqu’un réapprovisionnement est nécessaire.

Manfred Möckli: C’est toujours une question de coûts – on peut  faire beaucoup de choses, mais qui les paie?

Patrik von Wyl: C’est effectivement le cas. Pour divers appareils dans la restauration, comme par exemple les fours combinés et/ou les machines à café, nous tirons automatiquement des câbles informatiques. Malheureusement, ces derniers sont souvent les premiers à être supprimés en cas de réduction des investissements.

Roger Schreiber: Mais à l’inverse, nous mettons des appareils sophistiqués qui coûtent cher et peuvent faire beaucoup de choses dans la cuisine des exploitants, mais  seule une partie est utilisée.

Stephan Frech: Les interfaces techniques et l’optimisation de processus seront-elles utilisées pour mieux se différencier à l’avenir? La concurrence entre les fabricants et les restaurants s’en trouvera-t-elle renforcée? Cela peut-il devenir un gamechanger?

Tobias Wijnen: C’est difficile à dire. Mais l’efficacité et la réduction des coûts de personnel sont certainement un objectif. Et cela devient plus difficile pour tous ceux qui travaillent encore de manière classique.

Patrik von Wyl: Je pense que les avantages par rapport aux coûts ne sont pas encore clairement visibles. Dans le commerce de détail, cette pratique est courante depuis des années: un article est scanné et automatiquement réassorti par le système, souvent en se basant sur les chiffres de l’année précédente, ce qui permet de prédire les jours de forte vente. Cela va également s’imposer dans la restauration, mais nous n’en sommes encore qu’au début.

Manfred Möckli: En principe, chacun doit trouver un concept qui fonctionne pour lui. Même si l’IA n’enthousiasme pas encore tout le monde aujourd’hui, il se peut qu’une génération arrive dans la cuisine qui exige précisément cela.

Roger Schreiber: Un autre point qui me préoccupe: Nous avons parlé de la différence entre la robotique et l’IA. Alors que les logiciels prennent peu de place, la robotique laisse une empreinte physique. L’espace est rare, et c’est une question importante dans la planification. Ma question: la robotique nécessite-t-elle plus d’espace que les méthodes traditionnelles, notamment dans la distribution des repas? Le manque d’espace peut-il être un obstacle aux investissements dans ces technologies? Et pourquoi ne pas centraliser dans des centres industriels, où il y a plus d’espace?

Tobias Kofmel: La logistique automatisée a tendance à prendre plus de place, car elle fonctionne 24 heures sur 24 et nécessite des zones tampons pour le chargement. Certains cantons ont créé des stations de stérilisation centrales dans la logistique médicale, ce qui nécessite plus de chariots de transport, d’instruments et de surface de stockage pour faire face aux pics. L’idée de produire en plein air trouve également des approches, par exemple à Lausanne. Les salades et les desserts sont livrés préparés, les composants chauds sont régénérés sur place. Néanmoins, les cuisines ne veulent pas perdre leurs surfaces, qui sont réutilisées, par exemple pour des réfrigérateurs plus grands.

Bruno Ulrich: Et qu’en est-il de la régionalité, qui est importante pour tous, et de la durabilité? Les emballages vides doivent en effet être transportés à nouveau.

Tobias Kofmel: Il n’y a pas d’emballages vides, tout est livré dans des sacs en plastique.

Bruno Ulrich: Ensuite, nous avons le problème du plastique. En France, à partir du 1er janvier 2025, les aliments cuits ne pourront plus entrer en contact avec du plastique.

Roger Schreiber: L’économie d’entreprise et l’écologie s’opposent effectivement souvent dans ce domaine.

Stephan Frech: Pour conclure, chacun est invité à exprimer un souhait sur la direction que devrait prendre le tout.

Patrik von Wyl: L’IA doit me faciliter le quotidien et effectuer automatiquement des tâches standard, comme par exemple la saisie des heures.

Manfred Möckli: Pour moi, l’IA n’est qu’un soutien, rien de plus.

Tobias Kofmel: Il s’agit d’automatiser des processus standard. Cela fonctionne déjà très bien dans certains domaines.

Stefano Gerber: Il ne faut pas percevoir l’IA comme une menace, mais comme une opportunité.

Marcel Bischofberger: Les solutions importantes doivent être mises en avant et communiquées de manière transparente au sein de la branche.

Bruno Ulrich: Pour moi, il s’agit d’automatiser les processus standardisés et de développer des normes afin d’avoir une base commune pour que chacun ne fasse pas son propre gâteau.

Tobias Wijnen: Je pense également que nous devrions définir des normes et n’utiliser l’IA que là où elle est vraiment nécessaire. Actuellement, l’IA suscite un engouement, mais nous devons examiner de près où son utilisation est judicieuse et ne pas l’intégrer uniquement pour le plaisir de l’IA.

Markus Roos: Je vois l’IA comme un soutien dans les processus monotones, afin que l’homme puisse se charger des tâches plus agréables. Car un restaurant continue de vivre grâce aux personnes en cuisine, au service, à l’ambiance et à l’image globale. L’IA ne peut pas remplacer l’homme.

La rédaction de POT-AU-FEU remercie tous les professionnels pour leur participation active et stimulante.


Annonce